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En s’endormant, Paris scintille…

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Enchanter mon quotidien est une préoccupation permanente. D’aussi loin que je me souvienne j’ai toujours eu besoin de merveilleux : un livre qui vous plonge au pays des sorcières, une musique aux accents célestes, un rêve si dense qu’il en devient aussi réel que n’importe quel souvenir. Cette minuscule fenêtre ouverte sur notre imaginaire qui ouvre encore le champ de nos possibles, je passe ma vie à la chercher.

Enfant, les périodes de Noël étaient, entre toutes, un moment magique. Il y avait, évidemment, les légendes et la perspective de recevoir tous ces cadeaux tombés du ciel. Mais chez nous, le rituel préparatoire à la veillée de Noël était capital. Il s’étalait sur cinq ou six jours d’occupation à plein temps et culminait lorsque mon père, puis plus tard mon oncle Jean, se chargeait de construire l’immense crèche du salon avec une foule de matériaux de récupération : de la mousse, du houx, des branches sèches, de vieux carreaux de terre cuite…

Tout ce qui lui passait entre les mains pouvait servir ce grand projet et nous, les enfants, nous leurs tournions autour dans l’espoir d’obtenir une tâche à accomplir (trouver du houx avec des baies, collecter assez de mousse pour recouvrir tout le sol de la crèche) et apporter ainsi notre contribution à l’œuvre de mon père. Et même quand il ne s’agissait pas de la crèche, nos parents avaient le don de canaliser notre impatience en nous proposant mille activités de la plus haute importance : faire des paquets cadeau, aller choisir le sapin avec Grand-Maman, l’accompagner chercher les chocolats, s’assurer que les caisses d’oranges était bien arrivées… Ainsi le jour de Noël était toujours une sorte d’apothéose, non seulement parce que nous recevions les présents tant attendus dans une folie de papier colorés, mais aussi et surtout parce que c’était un peu comme jouer enfin sur scène un spectacle qu’on a passé des jours à préparer.

Les illuminations de la ville et les vitrines des magasins, installées trois semaines avant le jour J avaient une place cruciale dans la mise en branle de ce processus magique : elles étaient pour moi le signe annonciateur de l’envolée au pays des lutins, la poussière d’étoiles sans laquelle Peter Pan ne pourrait pas rejoindre le pays imaginaire. Une sorte de compte à rebours bien plus efficace que n’importe quel calendrier de l’avent dont les chocolats, généralement infects, avaient immanquablement disparus avant le 3 décembre.

Mais les rituels de Noël, avec le temps, se sont étiolés. Nous avons déjà tant de mal à nous réunir que lorsqu’on y parvient, il ne nous vient plus à l’idée de reconstruire une fois encore l’immense crèche, qui, de toute façon appartient maintenant aux rituels du passé. Les dessins d’enfant ont déserté le sapin au profit de longues discussions devant la cheminée, et je crois bien que nous n’entrerons plus jamais par ordre de taille, au matin de Noël, dans le salon de grand-maman avec, en fond sonore, les cantiques de Noël chantés par ce bon vieux John Littleton. C’est à peine si nous faisons l’effort d’entendre la messe de minuit qui, pour achever de tuer la magie, est plutôt dite avant neuf heures.

Chaque année, l’enchantement perd de sa force et je ne peux plus m’empêcher d’avoir une pointe d’angoisse à l’arrivée des illuminations de Noël. Toujours la peur, au fond, que la magie ne disparaisse vraiment. Que les lumières de la ville ne soient plus jamais pour moi les fées annonciatrices de l’imminence d’un moment merveilleux…

Ma pauvre magie, assommée par toutes mes préoccupations d’adulte : l’électricité, le gaspillage, les fortunes que les lumières coûtent à la ville, l’insupportable matraquage publicitaire, la course à la dépense et l’odieux marchandage des banques qui vous proposent des prêt à taux préférentiel pour vous inciter à dépenser ces sous que vous n’avez pas…

Alors la semaine dernière, pour ne pas laisser le désenchantement gagner encore un peu de terrain, je suis allée au devant d’elle, bien décidée à la trouver, mon étincelle de Noël.

Mais dans la cohue et dans la bousculade, je n’ai d’abord rien vu. Il a en quelque sorte fallu que je fasse mes yeux, que je la cherche en plissant le front comme on le fait pour un petit objet perdu. Il a fallu que je me promène, le nez en l’air et le cœur à l’affut. Que je me débarrasse un peu de toute cette peau d’adulte opaque, encombrante et fripée.

Après des heures de marche, la nuit à fini par tomber sur Paris. Place de la Concorde, la roue a commencé à se découper plus nettement dans l’encre de la nuit. Alors, en s’endormant, la ville s’est soudain mise à crépiter des feux de Noël, comme une maison s’éclaire de l’intérieur. Ce qui m’avait paru n’être qu’une sotte agitation devenait tout à coup un joyeux empressement. La bousculade frénétique des enfants est devenue un jeu. Les paquets débordant de grands sacs colorés redevenaient le signe que quelque chose d’heureux est en préparation.

Pendant quelques minutes, mes yeux d’adulte ont baissé la garde et je vous jure qu’elle était là.

Elle était là, installée bien au chaud sous l’exaspération, sous les dépenses faramineuses et inutiles, souriante et légère comme au premier jour. Charmante, évanescente, peut-être mais bien réelle. La magie qui précède chaque année mon propre conte de Noël est toujours bien vivante.

26 réflexions sur “En s’endormant, Paris scintille…”

  1. tant de choses merveilleuses, moi aussi j’aime tant toute cela. Et ta façon de décrire les choses fais encore plus rêver et je ne parle même pas de tes photos qui sont totalement magique.
    Merci

  2. Ton texte est magnifique, comme tes photos.
    Tu m’as donné envie d’aller me promener à la nuit tombée pour que je puisse aussi m’imprégner de la magie de Noël.

  3. Pour moi aussi ça commençait à s’étioler la féerie de Noel, mais depuis l’arrivée de mes filles, ouf ça recommence..Tes photos sont sublimes…

  4. Comme en ce moment je n’ai absolument pas le temps de sortir me promener dans les rues éclairées, j’ai pu vivre ce moment par procuration à travers tes mots… Comme d’habitude, merci beaucoup…

  5. Ouf! l’esprit de Noël n’est pas perdu!

    avec la morosité générale je commençais à me sentir seule avec mes guirlandes lumineuses et mes carols…!

  6. Comme c’est joliment écrit … c’est un peu ça la magie de Nöël, cette alchimie entre bonheur et nostalgie.
    Comme d’hab, les photos sont superbes. Bravo.

  7. La magie de mon Noël cette année est de le passer avec mon mari pour la première fois et d’avoir un plus notre bébé avec nous… Merci pour cette bulle poétique de la journée.

  8. Merci Anne-So pour ces quelques grammes de poudre magique. Oui l’âme de Noel est encore bien là, il faut juste regarder un peu plus fort.

  9. Très joli texte, un peu de poudre d’enfance et la magie de Noël réapparait. Il suffit de regarder le monde tel qu’on voudrait qu’il soit, c’est pas tous les jours faciles mais avec un peu d’entrainement on arrive à se rendre la vie plus belle!

  10. C’est toujours magique autant de te lire que d’admirer tes photos ! Moi j’ai bien senti la magie de Noël dans ton joli billet !

  11. Ce texte est sûrement le plus joli que tu aies écrit sur ce blog… j’ai adoré, et te souhaite une douce soirée

  12. C’est très joli ce que tu as écrit. C’est rare les personnes qui savent préserver, non seulement la magie de Noël en famille, mais surtout en eux et qui les rendent meilleurs, plus beaux, eux même aussi scintillants de bonheur que les décorations. J’aime Paris en décembre, c’est féérique, magique.

  13. Moi aussi j’ai flashé sur la poupées argent du Printemps. Une belle mise en scène que l’on ne se lasse pas de regarder collé à la vitre comme de grands enfants!

  14. très belle série de photo! quelle joie d’être sensible à la magie qui nous entoure.
    Joyeux Noël!!!

  15. C’est ce que je ressens sans avoir ni le temps, ni le talent d’écrire comme tu le fais. Les photos sont merveilleuses, en harmonie avec les mots, le rythme des phrases. C’est un très beau blog que je découvre. Un grand BRAVO! place aux rêves et à l’enchantement du quotidien dans ce monde de brutes!
    Olivia

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