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Alors, seulement des demi-rêves

Cette vie n’est pas la sienne. Elle en arrive toujours à la même conclusion. Pourtant, rien ne manque, il y a des fleurs dans tous les coins: du travail, des bons dîners, des fêtes, des amis, du temps libre et dehors, les cloches égrènent des heures bienveillantes. Ce mois de décembre au soleil, Noël qui arrive tranquillement.

Tout est bien, tout est à la bonne place. Même les rhumes ne durent pas bien longtemps. Le petit chat est revenu, il a l’air à son aise dans le mouchoir de poche, comme s’il avait toujours habité là. On est plein d’idées toutes faites, il faut croire, à propos des chats qui n’aiment pas partir de chez eux. Celui là est heureux partout pourvu qu’on le câline et qu’on joue.

Non, vraiment, pas de quoi se plaindre. D’ailleurs elle ne se plaint pas. Ça a juste l’air d’être la vie d’une autre, cette vie. Il y a une précarité de quelque chose, dans tout ça. Un truc pas fait pour durer, c’est difficile à expliquer. Elle voit bien qu’elle avance, elle va vers quelque part. Elle sait seulement pas où.

Alors elle prend des décisions, c’est sa façon de mettre les blancs en couleur. Les plus petites, pour continuer de tendre vers un but, louvoyer sans tourner en rond. Lancer des balles pour voir où elles retombent. Créer du mouvement sans céder à la panique, après tout, c’est comme cela qu’on survit à une chute en pleine mer. Les petites décisions, donc, et ensuite, une grande : l’horizon refuse de se montrer? Alors, grand bien lui fasse, elle ne va pas attendre qu’il se décide. Elle s’en dessinera un elle-même, et voilà tout.

À vrai dire, c’est un coup de tête qui n’en était pas vraiment un, ce grand voyage. Certaines choses, on ne sait pas trop pourquoi, gardent leur forme de rêve pendant de longues années et tout à coup voilà qu’avec un naturel confondant, la résolution est prise de les frotter enfin à la réalité. Non, cette décision n’avait pas l’éclat des coups de tête : elle n’est que la pointe verte qui émerge d’un très long temps de germination. Une graine qui s’épanouit d’avoir enfin trouvé sa terre.

Son horizon à elle, c’est ce grand voyage, à présent. Long, périlleux comme c’est toujours le cas quand on réalise un grand rêve : avec le risque, évidemment, de le voir voler en éclats.

Partir seule, les autres ont l’air de trouver ça bizarre. Elle s’en défend, ça va sans dire, mais c’est vrai que ça ressemble à une belle image avec de la poussière dessus, son truc. Ça fait pas complètement net. Pourtant, c’est fou ce qu’elle est heureuse, pas de doute là-dessus. Mais peut-être après tout qu’ils le sentent aussi, les autres, ce chagrin des belles choses qu’on se décide finalement à entreprendre seul, faute d’une meilleure option.

Évidemment que ce n’est pas comme ça qu’elle l’imaginait, son voyage au long cours. Bien sûr qu’il manque une âme sœur à l’histoire et l’enthousiasme partagé. Bien sûr qu’elle la mesure, cette solitude abyssale qu’il va y avoir à ne préparer ce grand jour avec personne. C’est presque douloureux, cette joie immense qu’elle doit se contenter de reverser sur elle à l’infini, cette joie qui ne rencontre jamais que son écho, à part de temps en temps, l’oreille poliment attentive d’un ami. Chaque fois qu’elle en parle, elle voit son énergie se jeter dans le vide. Ce serait tellement mieux si ça venait buter contre quelqu’un.

Un bout de soleil qui ne rayonne que pour lui-même, c’est un peu du gâchis. Elle sait.

Alors c’est donc ça, simplement ça. Elle pourra bien se donner tout le mal du monde à créer du mouvement, elle doit se contenter pour le moment de réaliser ses rêves à demi. L’absence d’un autre dans cette vie qu’elle ne reconnaît pas encore tout à fait comme la sienne, c’est juste ça le problème. Dans cette vie-là, le cadre est très joli, mais tout y est un peu coupé en deux.

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