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Le grand départ

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Me voilà donc face à mon clavier, me demandant comment raconter ce voyage. Il m’a fallu plus d’un an pour me décider à le faire. Toute la semaine dernière, j’ai fouillé dans ma mémoire, dans le carnet de bord que j’ai tenu durant la traversée et dans les photos. Tout me semble désordonné aujourd’hui. Il y a à la fois tant et si peu à dire… Mais j’y pense, il faut peut-être que je vous ré-explique.

L’an passé, j’ai effectué une traversée de l’Atlantique en bateau au départ des Antilles. Un mois et demi en mer. Je suis partie sur le Rara Avis, l’un des bateaux de l’association Bel Espoir (dont le véritable nom est « AJD » pour « Amis Jeudi Dimanche ») dont l’objectif premier est de venir en aide à des personnes en réinsertion. Je raconterai les détails au fur et à mesure des billets concernant ce voyage.

Voici comment je pense procéder. Les différents billets seront à l’image des souvenirs – épars – et les images me serviront de support pour raconter cette petite aventure. J’ai pris très peu de photos, lors de cette traversée. J’espère donc que vous pardonnerez la piètre qualité de certaines d’entre elles. Forcément, je vais oublier beaucoup de choses. N’hésitez, pas à me poser toutes les questions qui vous viennent à l’esprit, en particulier si vous vous sentez attiré par un tel voyage, je tenterai d’y répondre aussi précisément que possible.

Passé ce préambule, nous atterrissons donc, le 14 mai 2012 sur l’île de Saint Martin, dans les Antilles.

Je me souviendrai toujours de cet atterrissage incroyable à quelques dizaines de mètres seulement au-dessus de la plage (l’aéroport est célèbre pour cela). C’était la première fois que je partais seule si loin, et après une année de travail d’une intensité très au-delà du raisonnable, débarquer ainsi au bout du monde cadrait à la perfection avec mon état d’esprit : je me sentais au bout. Au bout de ma fatigue, de ma résistance et d’autre chose encore que je pourrais peut-être décrire comme la nécessité d’achever quelque chose. Le bonheur – pourtant bien réel, traverser l’atlantique se situant au top du top des choses à faire un jour dans ma vie – le bonheur qui venait s’ajouter à tout cela ne pesait pas assez, dans la balance et je me sentais très étrangère à ce qui allait arriver. Curieusement, je n’ai pas beaucoup pensé à ce voyage, avant d’embarquer sur le Rara.

Je disposais de quatre jours, avant l’appareillage et j’avais réservé un petit studio – le moins cher que j’avais pu trouvé – dans un complexe hôtelier du genre qui me donne froid dans le dos. Nous étions hors saison et l’hôtel était presque vide. Je me demandais pourquoi les rares touristes allemands présents autour de la piscine avaient cru bon de traverser le monde pour atterrir dans un lieu si dénué d’intérêt alors que l’Europe fourmille de destinations merveilleuses. Je n’ai toujours pas la réponse à cela.

Enfin. J’étais seule à l’autre bout de la terre, la tête farcie de préoccupations professionnelles, comme un coureur qui continue sa course après la ligne d’arrivée sans trouver le moyen d’intimer à son corps épuisé l’ordre de s’arrêter.

De ces quelques jours, je me souviens de peu de chose. Mais en premier : la proximité de la mer dont la présence me régénère bien plus sûrement que n’importe quelle pilule vitaminée. J’ai découvert, à ce propos, cette phrase d’Isak Dinesen « The cure for anything is salt water – sweat, tears, or the sea. » (« L’eau salée, voilà le remède en toute chose : la sueur, les larmes ou bien la mer. ») que je pourrais me faire tatouer tant elle me correspond. Je me rappelle aussi des couchers de soleil sous lesquels s’évanouissait enfin la laideur de l’hôtel pour laisser place aux beaux reliefs de la nature, aux ombres des palmiers, à la plage qui aurait presque pu passer soudain pour naturelle ; et à la mer, dont on ne voyait plus les fonds recouverts d’algues sales. J’aurais voulu d’un coucher de soleil de trois jours.

Je me souviens de la cuisine de mon studio, installée sur la terrasse, de la chaleur étouffante des Antilles qui donne la sensation de peser aussi lourd que du plomb et de ce petit chat qui ne m’a pas quitté d’une semelle pendant mon séjour. Il venait gratter à ma porte en miaulant et s’installait avec moi sous les draps pour dormir. J’étais sur le point de partir, aussi ne lui ai-je pas donné de nom, une façon comme une autre de me prémunir de l’impression désagréable de l’abandonner là. Je l’appelais simplement « mon ami ». Et puis je me rappelle aussi ce cocktail, une Pina Colada. C’était la première fois que je trinquais avec moi même.

Deux jours avant la date du départ, en me promenant sur la plage, j’ai croisé ces panneaux qui indiquaient la distance et la direction de plusieurs grandes villes, dans différents endroits du monde. C’était vrai : qu’on le veuille ou non, où qu’on soit et quelle que soit notre route on ira toujours quelque part. Devant ce panneau un peu kitsch, j’ai réalisé une chose importante : je n’étais pas au bout. Ni du monde, ni de fatigue, ni de peine. Je n’étais pas au bout, pour la bonne raison qu’il n’y a pas de bout. Le monde n’a pas d’extrémité.

Par contre, je pouvais toujours choisir de changer de direction.

Quelques minutes plus tard, le capitaine du Rara m’appelait pour m’annoncer que le bateau venait de mouiller l’ancre au port de Marigot avec deux jours d’avance. Autrement dit : on attendait plus que moi pour appareiller.

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13 réflexions sur “Le grand départ”

  1. Je ne suis pas sûre d’avoir déjà commenté l’un de tes articles, alors que ton blog est si beau… Plein de poésie, de partage, c’est agréable, comme une parenthèse. Il y a peu de gens qui sont touchants sur la toile, peu qui pratiquent le beau sans le paraitre, la retenue et qui parviennent à nous émerveiller sans étaler leur intimité.
    Tout ça pour dire que je ne pensais même pas que tu parlerais ici de ton voyage, que tu as parfois cité dans de précédent articles, sans plus de détails.
    En tout cas je suis ravie de « refaire » le voyage à tes côtés, et je crois que je t’envie un peu aussi, car on a tous parfois l’impression d’être au bout, sans oser faire le moindre mouvement, comme si on allait oublier !
    J’ai hâte de lire la suite !

  2. Je commente rarement mais ce billet m’a profondément touchée… Et cette phrase, The cure for anything is salt water – sweat, tears, or the sea, c’est fou comme parfois les mots peuvent vous toucher à ce point. Merci pour ce petit moment de grâce.

  3. J’aime bp te lire : ton écriture est si délicate qu’elle ressemble à des chuchotements !
    Tu sembles ignorer que Isak Dinesen est un des noms de plume de Karen Blixen, oui la baronne danoise qui a écrit Une ferme en Afrique (l’héroïne de Out of Africa is tu préfères).
    J’attends la suite de ton voyage initiatique….

    1. Anne-Solange

      Cathie, merci beaucoup pour cette information, en effet, je l’ignorais. Découvrir que ces mots proviennent de la plume de Karen Blixen me les fait aimer encore davantage.

  4. Suzy Panda a écrit exactement ce que je ressens quand je lis ton blog. Tu arrives à nos faire partager ton univers, tes voyages avec beaucoup d’émotions toujours parfaitement dosées. Merci pour ces jolis partages. !

  5. Traversant des moments difficiles, tes textes me redonnent l’espoir que la douleur et la déception servent à quelque chose. Merci.

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