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Une affaire de contrastes

Je ne sais pas si vous avez remarqué cela, vous aussi : certaines périodes sont dominées par un thème qui surgit d’on ne sait pas où, semble venir nous titiller pour on ne sait pas quoi et repart comme il était venu. Il peut prendre des airs de clin d’oeil (par exemple : je n’ai cessé depuis dix jours de consulter le dictionnaire dans toute sorte de circonstances inhabituelles) ou d’une invitation plus insistante à méditer sur un sujet ou sur un autre.

Autour de moi dernièrement, il a souvent été question du rôle bénéfique des moments de difficulté qui surviennent dans nos vies. Il existe un lien étrange entre les opposés : Joie/Tristesse, Enthousiasme/Abattement, Creux/Plein… autant de couples qui semblent ne pouvoir exister l’un sans l’autre, qui ne trouvent leur sens que dans le contraste avec leur opposé. Ce fameux : « il n’est pas de lumière sans ombre » attribué à tant d’auteurs de tous poils, qu’on est tenté de se dire « oui, oui, c’est ça, merci pour les poncifs, on connaît la chanson. » Sauf que c’est ça l’ennui, avec ce qu’on nomme les poncifs : ils ne sont pas tombés dans le langage commun pour des prunes.

Et je suis bien obligée de constater, par exemple, que l’angoisse à priori immobilisante, est étroitement reliée chez moi à l’énergie de mouvement qui me permet de me réinventer. Comme si je devais atteindre un pallier d’inertie insupportable pour, enfin, me mettre en action. Cette semaine, une amie me disait elle aussi que c’est dans ces périodes où rien ne va plus qu’elle se sent la plus créative, plus apte que jamais à trouver les ressources et les idées nouvelles qui lui permettront d’imaginer de nouveaux chemins dans sa vie.

Il y a cette phrase géniale d’Elizabeth Gilbert. Elle l’avait partagée sur son compte Instagram et j’en ai conservé une capture d’écran dans mon téléphone :

I’ve never seen any life transformation that didn’t begin with the person in question finally getting tired of their own bullshit. »

​Traduit par mes soins inexpérimentés, cela donne quelque chose comme : « Je n’ai jamais observé de transformation profonde chez qui que ce soit qui n’ait commencé par un raz le bol général de la personne vis à vis de son propre merdier.» Drôle et surtout drôlement juste. On a presque tous en mémoire un de ces moments où l’on a pensé « maintenant ça suffit » et qu’effectivement, ça a marqué le moment où quelque chose, en nous, était enfin prêt à bouger. Herman Melville, lui, parle plutôt de contraste. Ismaël, héros et narrateur de Moby Dick, raconte avec une poésie folle comment « tout plaisir, en ce monde, ne vaut que par contraste » :
… nous nous retrouvâmes assis, les couvertures bien bordées, appuyés à la tête du lit […]. Notre confort nous paraissait d’autant plus agréable qu’il faisait froid dehors et même hors de nos couvertures dans cette chambre sans feu. Je dis d’autant plus encore parce que le fait d’avoir une petite partie du corps exposée au froid peut seul vous faire savourer pleinement votre propre chaleur animale, car tout plaisir, en ce monde, ne vaut que par contraste. Rien n’existe en soi. Si vous vous flattez d’être envahi de bien-être de la tête aux pieds et qu’il en ait été ainsi pendant fort longtemps, alors on ne peut pas dire que vous sachiez encore ce qu’est le bien-être. Mais si, à l’instar de Queequeg et moi au lit, vous avez eu le bout du nez, le front et les oreilles légèrement gelés, alors en vérité vous serez infiniment persuadés d’avoir délicieusement chaud. C’est pour cette raison qu’on ne devrait jamais faire du feu dans une chambre à coucher, un de ces luxueux inconforts des riches. Car la vraie volupté est de n’avoir entre la chaleur et le bien-être de votre corps et le froid extérieur qu’une simple couverture. Vous êtes alors l’unique étincelle vivante au cœur d’un cristal arctique. »

Que j’aime, aussi, cette vision du bien-être si totalement à contre courant de tout ce qu’on nous raconte en ce moment !

Reste que ce thème pourrait faire l’objet d’un livre entier : les quelques recherches dans lesquelles je me suis lancée en écrivant cette lettre m’ont conduite dans des contrées aussi inexplorées pour moi que la phénoménologie (gnééé ?!), la théorie des couleurs de Goethe (j’ignorais, bien entendu que le bonhomme avait écrit un traité à ce sujet) ou la psychologie, par exemple, avec Carl Jung qui voit dans l’ombre la part non assumée de notre être, celle qui ne se connaît pas elle-même. Dans L’âme et la vie (dont je n’ai lu que quelques extraits), il dit :

La clarté ne nait pas de ce qu’on imagine le clair, mais de ce qu’on prend conscience de l’obscur. »

Les fêtes de fin d’année sont, je crois, pétries des mêmes contrastes et tiraillements. Pourrions-nous nous chauffer pleinement aux chaleurs d’une veillée de Noël sans l’éternelle friction – redoutée et chérie – sur la nature du menu, la quantité d’alcool à table ou l’heure et le jour de distribution des cadeaux (plutôt le soir de la veillée après minuit ou le lendemain au matin) ?

Quels que soient vos propres tiraillements, je vous souhaite de très belles fêtes de Noël 🎄✨🎁. En ce qui me concerne, elles seront dédiées à la famille, à l’aquarelle et à mes projets de livres sur lesquels je n’avance jamais aussi bien que… pendant mes vacances. Allez comprendre.

À jeudi prochain !

Anne-Solange

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Pour aller plus loin voici les livres et articles dont il est question ici

☞ Le compte Instagram d’Elizabeth Gilbert (en anglais) se lit plus qu’il ne se regarde. Elle y partage chaque jour sa vision du monde, de son quotidien et de l’actualité à sa manière unique et sensible. Elle fait partie de ces personnes capables de raconter l’intime sans se défaire de leur pudeur. Et en se racontant, de nous raconter nous.

☞ Dans une précédente lettre, je vous parlais de ces livres qui font tellement partie du décor qu’on a du mal à se rappeler si on les a lus ou pas (souvent, on n’en a pas lu une ligne). Le célèbre Moby Dick, de Melville en fait partie. Je ne saurais dire si c’est une lecture palpitante : j’aime tant les livres de mer que mon avis à ce sujet, compte pour du beurre. Mais il y a une grande poésie dans ces pages, ainsi que, plus étonnant, beaucoup d’humour.

☞ En vérité, je n’ai pas lu le Moby Dick* de Chabouté, mais lu des critiques dithyrambiques à son sujet. Ainsi, je l’avoue sans détours, ceci n’est qu’un grossier appel du pied à ceux de ma famille qui manqueraient d’inspiration pour me faire un cadeau. Il y a des années, lors d’un voyage à San Francisco, j’ai séjourné chez un artiste qui collectionnait les Moby Dick. Sa bibliothèque était pleine de différentes éditions, dans plusieurs langues et sous diverses formes. C’est l’une des plus jolies collections qu’il m’ait été donné de voir.

☞ Et pour terminer, je vous invite à lire cet article à propos de la théorie des couleurs de Goethe (où j’ai donc appris que Goethe, en plus d’écrire de la littérature, versait dans toute sorte de disciplines, dont l’optique), qui s’oppose à celle de Newton, lequel a décidément plus d’un tour dans son sac puisqu’il est rien moins que le père de la colorimétrie moderne (ce que bien entendu, j’ignorais également).

* Les liens marqués d’une étoile font partie d’un programme d’affiliation.
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