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Rêveries au ras du sol

Lila Bliss a marié ses parents, la veille. Je crois qu’elle était fatiguée lorsque je suis arrivée le lendemain midi, au repas organisé pour permettre aux fêtards de manger un morceau avant de reprendre la route. Au milieu de tout ce monde, je la regardais osciller entre l’envie de jouer avec les autres enfants, celle de conquérir quelques instants l’attention exclusive de ses parents – qu’il est bien difficile, pour une petite fille, de partager soudain avec un si grand nombre d’autres – et celle de s’évader dans ce monde silencieux et débordant de possibilités où l’on fait la conversation à des personnages imaginaires dotés de cette formidable aptitude à répondre exactement à ce qu’on attend d’eux.

Lorsqu’elle s’est échappée des bras de sa maman pour se tortiller sur le sol de la piste où nous dansions encore comme des fous quelques heures plus tôt, c’est un peu de tout cela que je voyais en elle. Dans cette attitude si caractéristique de l’enfance, elle nous tournait le dos pour se mettre à l’abri des regards, mais en réalité tout indiquait qu’elle prêtait attention à ce que l’on disait. Ce que l’on disait d’elle, en particulier. Chacun de ses mouvements traduisait cet état où l’esprit se promène à la frontière entre notre monde intérieur et celui dont nous ne pouvons être le centre puisqu’il appartient également aux autres. À la fois présente et absente, tout en elle hésitait entre le désir d’attirer l’attention et celui de se faire oublier.

Et je la regardais se rouler parterre avec délectation, les pieds brunis par la terre du jardin, les genoux verdis par la pelouse, son doudou balayant avec joie tout ce que le sol pouvait contenir de poussière. Comme si elle savait qu’elle ne pourrait pas faire cela toute sa vie. Sans doute a-t-elle déjà compris que la vie à dix centimètres du plancher est une zone réservée aux enfants.

Une simple rêverie au ras du sol délimitait ainsi les contours d’un territoire inaccessible aux grandes personnes ; un pays limitrophe dont nous pouvions contempler l’activité de loin, mais que nous n’étions pas invités à visiter. Un État dans l’État sur lequel elle pouvait régner sans partage. Et je songeais que c’est peut-être là exactement, sur une épaisseur de quelques centimètres, que se trouve ce fameux paradis perdu dont à partir d’un certain âge qui n’est pas le même pour tout le monde, on finit tous par égarer la clef.

39 réflexions sur “Rêveries au ras du sol”

  1. Il n’y a pas meilleur monde que celui de l’enfance, cette activité et imagination débordante, cette insouciance que j’aimerais beaucoup retrouvé parfois… il ne faut pas qu’ils grandissent trop vite ni même qu’on les laisse grandir trop vite, ils doivent profiter de ces instants magiques…

  2. Qu’est-ce qu’on aimerait retrouver, ne serait-ce que le temps d’une petite minute, ce paradis perdu de l’enfance !!

  3. Ton texte est magnifique, me rend nostalgique et aussi un peu triste pour cette petite fille qui s’en va tout doucement rejoindre le monde des plus grands. Dommage que dans l’enfance, on ne réalise que trop tard que tous ces instants d’innocence sont éphémères…

  4. Je me suis couchée sur le parquet il y a peu en me promettant de le refaire de temps en temps ;-) Magnifique billet !

  5. j’ai 30 ans aujourd’hui.
    Et soudain je me rends compte que cette vie à 10 cm du plancher, je ne l’ai pas perdue…

    ton écriture est un véritable cadeau.

    Ce soir je vais m’allonger sur le sol pour regarder le plafond et m’isoler du monde pour mieux entrer dans le mien. Et espérer que je saurai donner cela aux enfants que je compte bien avoir pendant la prochaine dizaine ;)

    Merci

  6. Touchée coulée par ton joli post :)
    Le monde de l’enfance, c’est aussi celui ou on peut faire des bêtises impunément: couper tous les pompons d’un couvre-lit, finir une boîte de désherbant dans le jardin des grand-parents, se couper une mèche de cheveux.
    Finalement l’enfance, c’est un peu de folie douce qui n’appartient qu’aux petits et qui s’en va lentement…

  7. Quel beau billet! Très poétique!
    Juste une petite correction, sauf jeu de mot qui m’aurait échappé (aquatique, évidemment), ras du sol s’écrit avec un -s final et non un -z.

  8. Encore un très beau billet, comme les photos qui l’accompagnent…

  9. « Sans doute a-t-elle déjà compris que la vie à dix centimètres du plancher est une zone réservée aux enfants » Elle a tout compris :)

    Plus je te lis et plus j’aime ton style d’écriture et tes photos. 6 ans que j’explore les blogs et je m’émerveille encore :) Merci

  10. sourit
    Très bel article. Alala l’enfance… J’aime ton style d’écriture. Tu fais partager beaucoup de choses à travers tes écrits. Bravo.
    Et puis tes photos sont juste sublimes! Le modèle était aussi très photogénique je trouve. Elle est chou cette pépette !
    A bientôt . :)

  11. Si on l’a perdu ce paradis , c’est peut être parcequ’on ne peut plus se contenter de petits plaisirs comme celui-ci, en grandissant . C’est bien dommage !

    -Bisous, Amélie-

  12. merci pour tes magnifiques textes ! de quoi s’évader à chaque lecture!
    pour les partager, il manque juste un petit bouton « facebook » :)

  13. Entre songes et délices de rêveries, ce petit bout de demoiselle retrouve une certaine douceur de nonchalance … un petit doudou .. douceur qui la suit … j’ai toujours fait mes devoirs et réviser mes cours à ras le sol … cahiers éparpillés … on est bien au sol … et au Japon on y vis ainsi …..Très beau billet magnifiques photos bravo ..

  14. J’ai été très touchée par ton article, je l’ai trouvé très joli mais surtout, très vrai… Merci pour ces quelques instants…

  15. Je me le dis souvent… pas tout ca, mais combien non decidement je ne m’invente plus des histoire de sorciere, que je raconte plus ma vie a mes poupée en esperant qu’elles prennent vie et que passer une apres midi a faire des roues dans le jardins, c’est decidement plus pour moi. C’etait bien. Mais comme tu le dis si bien « on ne pourra pas le faire toute notre vie. Tres jolie texte!

    1. et desolée pour les mille fautes d’orthographe. Je ne me relis plus non plus :(

  16. Très joli ce texte, très touchant et très juste, tout en finesse. L’enfance, ce pays imaginaire qui me manque déjà tant.

  17. Tes photos sont toujours aussi superbes! On croirait voir cette petite Lila Bliss dans notre propre salon :-) J’ai trouvé ton bouquin hier (pas facile en Belgique!) et je sais déjà que je vais le dévorer lors de mes prochaines vacances!

  18. Les photos sont magnifiques, le texte aussi est beau, très sensible, une belle rêverie. On ferait bien tous de se rouler par terre plus souvent !

  19. J’ai oublié de te demander Lila Bliss est son vrai nom, parce que c’est tellement beau :coeur :coeur :coeur

  20. N’ayant pu, malgré mes démarches en ce sens, faire valoir mes droits en justice – j’ai en effet contacté des responsables, des institutions et personne n’a pour l’instant voulu m’apporter son soutien, pourtant nécessaire. Cela a eu toutefois le mérite de faire passer un petit peu mon témoignage – j’ai donc décidé de faire un scandale, le plus énorme possible et c’est pourquoi je fais circuler l’adresse de deux blogs que, pour l’instant, j’ai pu publier à la suite de ces démarches infructueuses, dans l’espoir qu’à force de tapage, cela suscite suffisamment d’interrogations de la part des gens pour que je puisse enfin voir les faits que je relate au moins examinés par la justice et être entendue. C’est tout ce que je demande.

    http://blog-etc-temoignage.blogspot.com/
    http://swaplitteraire-nina.blogspot.com/

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